Leila Bordreuil

Où êtes-vous ?

Chez moi à Brooklyn.



Où auriez-vous dû être ?

En tournée en Europe.



Que faites-vous en ce moment ?

J'étire le temps. Je fais les choses lentement, méticuleusement, de façon réfléchie. Je développe aussi une nouvelle forme de relation, beaucoup plus profonde, avec mes chats, qui ont passé toute leur vie en quarantaine !


Qu’entendez-vous en ce moment ?

J'écris ces lignes dans mon jardin, où je passe beaucoup de temps à prendre le soleil et à pratiquer l'écoute profonde. Pour le moment, le jardin est complètement muet. La rumeur de la ville a disparu. Pourtant les oiseaux se déchaînent, et chantent beaucoup pus que d'habitude. Et au loin, les sirènes des ambulances résonnent nuit et jour — un sinistre rappel que plus de 800 personnes sont mortes à New York ces dernières 24 heures. La rumeur urbaine de New York a toujours été un moteur dans ma musique, qui a pris un tournant très noise lorsque je suis venue m'y installer. Créer de nouvelles choses dans ce paysage sonore inquiétant et symboliquement chargé s'est révélé être pour le moins troublant.


Mettez-vous à profit cette période de confinement pour faire de la musique ?

Oui bien sûr. Puisque pas mal de mes performances ont été annulées ou reportées, je prends ce temps pour jouer et composer librement, sans avoir à penser à des aboutissements concrets. Par exemple, j'ai rejoué les sonates pour violoncelle de Rachmaninov et Prokofiev, mais je ne les jouerai jamais en public. Et bien sûr, les suites de Bach, mais je les joue assez régulièrement de toute façon. J'ai aussi fait un peu plus d'arts visuels, que je vais également garder pour moi, et tout cela a été très relaxant.


Comment sera le monde d’après ?

Question difficile ! J'espère que le capitalisme va se ramasser la tête la première. Et le fait de ne rien pouvoir acheter dans ce monde consumériste est une expérience très intéressante. Mais malheureusement, je pense que le capitalisme en sortira probablement renforcé. Le monopole que possède l'industrie des technologies sur notre quotidien et nos rapports sociaux a fait un bond en avant, et c'est quelque chose sur lequel on ne pourra plus revenir. Sur une note plus optimiste, c'est aussi une opportunité rêvée pour les transformations sociales, et nous devrions en profiter.



Comment peut-on soutenir la communauté musicale ?

Première étape : boycotter Spotify ! Et puis bien sûr, acheter la musique ou le merch directement auprès de l'artiste ou du label est le meilleur moyen de soutien. Sinon, Bandcamp est la plateforme la plus éthique pour le streaming et l'achat de musique en ce moment.


Cinq musiques à conseiller ?

Marina Rosenfeld - Plastic Materials
Pharoah Sanders -Tauhid
Sergei Rachmaninoff - Sonate pour violoncelles (interpreté par Rostropovich et Horowitz)
Tourette - Jardin du Sommeil Chant d'Amour sur la Nuit Grandissante
Bill Nace - Both


Un livre ?

N'importe quel livre de J.G. Ballard transformera votre quarantaine en expérience esthétique (surtout L'île de béton).


Que ferez-vous quand vous sortirez ?

J'irai à la plage !


Liens :
https://leilabordreuil.bandcamp.com/album/headflush