Matthias Puech



Où êtes-vous ?

Le plus clair de mon temps dans une fibre optique sous-marine, faisant des allers-retours à la vitesse de la lumière dans l'océan Atlantique, comme tout le monde.


Où voudriez-vous être ?

Auprès de ma mère malade.


Que faites-vous en ce moment ?

Vu d'ici, le confinement ressemble à une sorte de sommeil paradoxal collectif, un moment d'inactivité apparente qui sert un dessein invisible qui nous dépasse tous, pour l'instant. Le contraste entre le paisible de la vie domestique et la tourmente que vivent malades et soignants rapportée dans les médias est saisissant ; nous sommes dans l'œil d'un cyclone.

Je dédie beaucoup de temps à des tâches d'apparences insignifiantes, bricolage, réparation de matériel électronique, expériences diverses, qui je le sens m'aident à intérioriser la situation personnelle et collective actuelle. Une étude américaine menée il y a quelques années sur des soldats vétérans d'Irak explorait le jeu comme remède aux syndromes post-traumatiques : jouer à Tetris, un jeu très simple, serait beaucoup plus efficace que d'autres a priori plus évocateurs de bonheur ou de paix. Faire pousser des graines germées, cultiver du levain, dissoudre la coquille d'un œuf dans du vinaigre pour voir à travers... j'essaye à ma manière de prendre conscience du temps de la vie. J'ai aussi installé une antenne de fortune sur mon balcon pour capter et enregistrer les ondes électromagnétiques avec un petit récepteur radio-amateur (« software-defined radio »). On y entend le son des émetteurs GSM, les ballons stratosphériques qui mesurent les conditions météo, et toute sorte de signaux « parasites » dont l'origine m'échappe ; c'est un autre monde, omniprésent et imperceptible. J'ai aussi rebranché un petit microscope qui permet d'observer le vivant à une échelle différente : les mousses de la cour d'immeuble, la terre des plantes en pot, la vie foisonnante qui se développe dans les matelas (oui !)...


Qu’entendez-vous en ce moment ?

Les synthétiseurs de Laurie Spiegel, une rediffusion de France Culture depuis la cuisine, les pépiements des Geais des chênes à travers la fenêtre entre-ouverte, et les réponses intriguées de notre perruche ondulée. De temps en temps les sirènes lointaines d'une ambulance sur l'avenue qui mène à l’hôpital de Bobigny.


Mettez-vous à profit ce confinement pour faire de la musique ?

Étrangement assez peu, en partie parce qu'il est m'est difficile dans le marasme ambient de trouver la disponibilité et l'écoute nécessaire à la création, en partie car je suis occupé par d'autres perspectives. J'espère que cela reviendra, mais je ne force surtout rien.


Comment sera le monde d’après ?

Les prédictions ne sont pas bonnes et je suis d'un naturel pessimiste, et pourtant il m'est impossible de ne pas rêver, en voyant pour la première fois de ma vie ces rues sans voiture, ce ciel vierge de tout avion, la douceur de ce silence, la diminution globale de la pollution... Et s’il ne se passait... rien ? Et si, après des mois d'arrêt, la vie continuait de prospérer au même rythme que pendant la crise, sans bruit, sans déplacement, sans activité qui ne soit pas strictement nécessaire mais surtout sans l'anxiété du virus et ses conséquences ? Et si l'attendue crise économique n'arrivait que pour exhiber sa relative innocuité en regard de l'épidémie, de la maladie, de la perte d'un proche ? Si on réalisait que grâce à tous ces câbles qui nous lient, une grande partie du travail pouvait se faire à distance, que grâce à toutes ces machines que l'on a inventé, seule une fraction de l'activité humaine n'était vraiment nécessaire, et que l'on pouvait enfin... se reposer ? Et si l'humanité toute entière, non pas collectivement mais chacun dans sa volonté propre, réalisait soudainement la valeur et la beauté de la vie, celle de l'Homme mais aussi toute celle qui nous entoure, celle du virus lui-même, et que loisir, plaisir, découverte et création étaient ce qui comptait réellement ?

Ce n'est qu'un rêve naïf que cette situation catastrophique me laisse paradoxalement imaginer, mais comme sûrement beaucoup d'autres pensées nées de la crise, je sais qu'elle m'habitera maintenant. La seule certitude que l'on peut esquisser est que rien ne sera plus comme avant !


Comment peut-on soutenir la communauté musicale ?

Je ne sais pas, mais je compte sur elle pour soutenir le reste du monde une fois la partie sanitaire de cette crise derrière nous ; il en aura bien besoin.


Cinq musiques à conseiller ?

C'est le moment de se détacher de l'activité incessante des nouveautés, et réécouter des disques moins récents qui nous ont touchés. Ma sélection du moment :

- John Luther Adams, "In The White Silence"
- Maryanne Amacher, "Petra"
- Oren Ambarchi, "Quixotism"
- Institute of Landscape Architecture, "Melting Landscapes"
- Pancrace, "The Fluid Hammer"


Un livre ?

"The World Without Us" d'Alan Weisman. Le scénario catastrophe le plus apaisant qu'il soit.


Que ferez-vous quand vous sortirez ?

Sans doute à peu près la même chose que maintenant ! Le quotidien du confinement, les obligations sociales réduite à la bienveillance envers les proches et les voisins, la vie sédentaire et le recentrage qui s'opère naturellement me conviennent finalement assez bien :-)

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