Régis Renouard Larivière


Où êtes-vous ?

Chez moi, à Paris.


Où voudriez-vous être ?


Chez moi, à Paris.


Que faites-vous en ce moment ?

J’apprends les soustractions à Joachim, mon fils de huit ans. La semaine prochaine, on fait les divisions.


Qu’entendez-vous en ce moment ?

Moussorgski : Boris Godounov, Khovantchina et les mélodies.


Mettez-vous à profit ce confinement pour faire de la musique ?

Ai terminé les mixages de Laps 2.


Comment sera le monde d’après ?

Les calculatrices électroniques tomberont d’elles-mêmes en poussière par l’effet d’une seconde vague du virus. L’homme réapprendra à compter lentement, et préférablement dans la limite de ses doigts et à la mesure de sa vie mortelle. 


Comment peut-on soutenir la communauté musicale ?

Je ne sais pas répondre à cette question car je ne sais pas très bien ce qu’est cette communauté musicale, qui m’apparaît comme une grande abstraction.


Cinq musiques à conseiller ?

Stockhausen : Aus den sieben Tagen 1 : Fais voile vers le soleil
Stockhausen : Inori
Messiaen : Transfiguration de Notre Seigneur Jésus-Christ
Roussel : Symphonie 3
Django Reinhardt (de préférence avec Hubert Rostaing à la clarinette)


Un livre ?

Simone Weil, La Condition ouvrière (1951).
Tobie Nathan, Les Âmes errantes (2017).

Voici deux pépites, extraites du premier et du second, non sans résonance l’une avec l’autre, ni avec nous, là, maintenant.

Les choses jouent le rôle des hommes, les hommes jouent le rôle des choses ; c’est la racine du mal. Il y a beaucoup de situations différentes dans une usine ; l’ajusteur qui, dans un atelier d’outillage, fabrique, par exemple, des matrices de presses, merveilles d’ingéniosité, longues à façonner, toujours différentes, celui-là ne perd rien en entrant dans l’usine ; mais ce cas est rare. Nombreux au contraire dans les grandes usines et même dans beaucoup de petites sont ceux ou celles qui exécutent à toute allure, par ordre, cinq ou six gestes simples indéfiniment répétés, un par seconde environ, sans autre répit que quelques courses anxieuses pour chercher une caisse, un régleur, d’autres pièces, jusqu’à la seconde précise où le chef vient en quelque sorte les prendre comme des objets pour les mettre devant une autre machine ; ils y resteront jusqu’à ce qu’on les mette ailleurs. Ceux-là sont des choses autant qu’un être humain peut l’être, mais des choses qui n’ont pas licence de perdre conscience, puisqu’il faut toujours pouvoir faire face à l’imprévu. La succession de leurs gestes n’est pas désignée, dans le langage de l’usine, par le mot de rythme, mais par celui de cadence, et c’est juste, car cette succession est le contraire d’un rythme. Toutes les suites de mouvements qui participent au beau et s’accomplissent sans dégrader enferment des instants d’arrêts, brefs comme l’éclair, qui constituent le secret du rythme et donnent au spectateur, à travers même l’extrême rapidité, l’impression de la lenteur. Le coureur à pied, au moment qu’il dépasse un record mondial, semble glisser lentement, tandis qu’on voit les coureurs médiocres se hâter loin derrière lui ; plus un paysan fauche vite et bien, plus ceux qui le regardent sentent que, comme on dit si justement, il prend tout son temps. Au contraire, le spectacle de manœuvres sur machines est presque toujours celui d’une précipitation misérable d’où toute grâce et toute dignité sont absentes. Il est naturel à l’homme et il lui convient de s’arrêter quand il a fait quelque chose, fût-ce l’espace d’un éclair, pour en prendre conscience, comme Dieu dans le Genèse. (S.W., La Condition ouvrière, 1936, Folio essais, p. 336)

Comme la plupart des gamins qui ont émigré, je me souvenais surtout du départ, de ce moment, sur un quai du port d’Alexandrie, après l’humiliation de la fouille au corps et de la confiscation de tout argent liquide, de tout bijou, de tout ce qui aurait pu être monnayable… ce moment où nous avancions lentement sur la passerelle. Je n’étais pas bien grand ; j’avais neuf ans. Je me suis retourné et j’ai regardé, entre les manteaux des adultes, ce pays qui partait en fragments. Je me suis dit qu’il y a des moments que l’on doit fixer dans sa mémoire, dont il faut interrompre la fluidité. J’étais surpris de ne ressentir durant cette scène, dont je percevais l’exceptionnelle gravité, lourde de menaces pour ma famille et pour moi-même, aucune émotion particulière. J’aurais dû être terrifié, triste aussi ; j’aurais au moins dû pleurer… Au fond de moi, je restais de marbre. Il me semble que j’ai consacré ma vie à éclaircir l’étrangeté de ce moment. (…) Je crois que si les enfants migrants enregistrent avec une telle précision l’instant du franchissement, c’est qu’ils ont l’intuition des malheurs à venir. Dans mes consultations, j’ai souvent invité les enfants migrants à raconter cet instant qui marque un avant et un après, cet instant qui ne cesse de se dilater, jusqu’à durer un siècle. Les uns disent le décollage de l’avion, d’autres le moment où ils ont pénétré dans le taxi, beaucoup se souviennent du réveil, dans l’avion, après un assoupissement, et de leur regard terrifié sur un monde métamorphosé. Pour moi, ce fut la passerelle du bateau. J’habite à jamais ces quelques mètres de bois, à l’endroit où me prit cette soudaine envie de me retourner, un après-midi de février 1957. (T.N., Les Âmes errantes, 2017, Livre de Poche, p. 136)


Que ferez-vous quand vous sortirez ?

Piscine et restaurant !


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